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Christine de Danemark de Hans HOLBEIN

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Christine de Danemark, duchesse de Milan 

1538,Londres, National Gallery.Huile sur bois, 179x82cm.

 

  Un peintre allemand, qui, au terme d’un séjour en Suisse, se met au service du roi d’Angleterre, pour lequel il se rend en Flandre afin de réaliser le portrait d’une duchesse danoise, dont l’autorité s’exerce sur le duché de Milan : décidément, l’Europe humaniste du XVIe siècle préfigure notre géographie désormais sans frontière, et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le premier grand programme européen en matière d’éducation supérieure a choisi le nom d’Erasmus.

       De fait, Holbein le Jeune, qui appartient justement au cercle des amis d’Erasme, se rattache naturellement à ces artistes représentatifs du courant humaniste, où la mobilité des hommes  épouse celle des idées.
   
      Mais c’est à une autre grande figure de l’humanisme, Thomas More, qu’Holbein doit sans doute son introduction dans le milieu londonien : Deux années d’exil (1526-1528), salutaire au regard des événements liés à la Réforme, puis, après un retour à Bâle, une longue période dans la capitale anglaise (1532-1543) où il trouve la protection influente de la ligue hanséatique, dont il multiplie les portraits de ses représentants, et bien sur, du roi lui-même.
      Terrible privilège que de servir les intérêts d’Henri VIII (fig.1), surtout lorsqu’il s’agit d’aller peindre le portrait d’une future épouse ! Après Catherine d’Aragon, dont le mariage fut annulé, Anne Boleyn, décapitée, et Jeanne Seymour, décédée en couches, Henri VIII jette son dévolu sur une jeune veuve, alors duchesse de Milan : Christine de Danemark.

Henri VIII

Fig.1.Portrait d’Henri VIII d’Holbein.1536,Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza. 

 
      Il charge ainsi Holbein de se rendre à Bruxelles (mars 1538) afin de la rencontrer. Après l’envoi d’un dessin de son visage, le roi, aussitôt satisfait, ordonne la réalisation d’un portrait peint en pied. Mission délicate, parce qu’en l’occurrence, Christine ne manifeste aucun enthousiasme à l’idée d’épouser La Barbe Bleue… Sauf que pour Holbein, dont la pérennité de la collaboration avec son illustre protecteur dépend étroitement de l’entière satisfaction de celui-ci, il ne suffit pas d’exprimer son génie – étrange paradoxe des enjeux d’une peinture de cour  -  mais de rendre compte avec précision des charmes supposés de Christine. Holbein, peintre soumis aux nécessités de la neutralité, est-ce seulement envisageable?
      Qu’il suffise de rappeler le fiasco ultérieur d’Anne de Clèves – autre portrait pour un autre mariage (fig.2)– qui marque la fin brutale d’Holbein en tant que peintre du roi, parce que l’ingéniosité et les artifices déployés par l’artiste ont fini par tromper l’appréciation du roi lui-même, au point de l’épouser sans l’avoir vue. De fait, celle qu’il qualifie de « grosse jument des Flandres » lorsqu’il la rencontre pour la première fois, demeure  son épouse la plus éphémère, répudiée au bout de six mois.       

Holbein Anne de Cleves

Fig.2.Portrait d’Anne de Clèves d’Holbein.1538,Paris, Musée du Louvre. 

 

      Malgré une abondante littérature, complaisamment très diserte dès qu’il s’agit de la notion du temps dans la peinture,  singulièrement, dans le portrait, et qui ne se lasse pas d’évoquer la fugacité de l’instant (vieux poncif qui rejoint invariablement celui de l’éternité !), un portrait peint, n’en déplaise à ces chimères, ne capture jamais son modèle dans l’instant. Il nous livre une succession d’instantanés, cristallisés dans la durée de son exécution. Et, au risque d’irriter les esprits éthérés, il faut sans cesse rappeler la prosaïque formule de Maurice Denis, pour qui un tableau c’est avant tout « une surface plane, recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ».  Parce que le peintre demeure précisément soumis aux contingences des interactions permanentes de la matière avec l’espace et le temps, il recompose en une seule image des épisodes plus ou moins brefs, de postures, de visages ou de mains, alchimie plastique autant de la restitution du réel que de la réappropriation de segments de temps, dont l’ensemble constitue la matrice formelle de la psychologie de son modèle.

      Tableau magistral par la rigoureuse économie des moyens, avec un support spatial et chromatique qui confine à l’abstraction. Surface où le noir jette son ombre sur le fond turquoise (malheureusement impossible à distinguer sur notre photo) mais également, surface littéralement éblouie par l’éclat des blancs de ce visage et de ces mains, chapelet insulaire de nacre et d’ivoire.

      Il faut nous rendre à cette évidence : les portraits ont toujours une histoire  intime, et toujours, celle-ci nous fera défaut.

      Lors de la séance de pose, qui s’apparente à une étrange confrontation silencieuse, Christine, fixant Holbein du regard, ne cesse de voir Henri VIII, parce que dans cette géométrie du triangle, c’est bien l’absent qui impose de son autorité sans nuance les enjeux du portrait. 
  
      Que signifient cette bouche, dont le sourire, malgré la convenance, traduit un secret mépris pour son destinataire, et ce regard froid et déterminé (fig.3), sinon la marque implicite du refus? Regard distancié, corroboré par la position de ces bras, relevés sur l’abdomen, qui traduisent davantage une protection qu’une soumission.   

Visage de Christine

Fig.3

 

      Holbein, en représentant la main droite de la veuve avec l’auriculaire légèrement écarté, semble exprimer une certaine contrariété, du moins une évidente tension : celle d’une femme naturellement peu enthousiaste à la perspective d’épouser Henri VIII et qui ne craint pas, avec la connivence discrète de l’artiste, d’exposer ses réserves. Mais, puisqu’il s’agit d’une recomposition d’ensemble de la psychologie du personnage en constant rapport avec la fonction initiale du tableau, Holbein utilise la main gauche de Christine pour exprimer les vertus inhérentes à la future épouse : attente et retenue. Voyez l’auriculaire et l’annulaire repliés, tandis que le majeur et l’index semblent vouloir dompter l’autre main rebelle (fig.4).
       Ces mains qui prolongent les intentions de ce visage de faïence, procèdent  ainsi autant d’un code de convention que de sa transgression.

les mains de Christine

Fig.4

 

      Dans quelle mesure le tableau d’Holbein a-t-il contribué à suspendre le projet matrimonial d’Henri VIII, qui avait, il est vrai, multiplié les démarches dans toute les cours d’Europe ? Que m’importe au fond le dessous des cartes : comme un enfant impatient de connaitre la fin de l’histoire, j’aime à penser que la princesse, plus rusée que Barbe Bleue, soit parvenue à sortir du terrible conte avant d’en subir les irréparables effets.

          Mais  nous avons aussi appris, depuis Théophile Gautier, à nous réjouir de la gratuité des images, désormais libérées de leur fonction première. Ces images, qui semblent prétendre à une existence autonome, agissent comme un stimulant sans cesse renouvelé de l’imaginaire et constituent désormais autant d’offrandes oniriques à nos regards.
      Ainsi en est-il de la précieuse étoffe noire, dont les contours soyeux (fig.5) dessinent les échancrures d’un littoral chimérique, baigné d’eaux jaunies et limoneuses, géographie improbable d’une thébaïde équatoriale.

Christine, la robe et le sol

Fig.5

 

 

 

 

 

 

 

  

 



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